
Face à la recrudescence de phénomènes climatiques extrêmes, le monde s'interroge. Quel avenir pour les populations les plus exposées ? Si la création d'îles et territoires artificiels est toujours d'actualité, elle ne résout que partiellement, et temporairement, le problème des migrants climatiques. Des États s'organisent pour proposer des solutions plus pérennes. Décryptage.
Visa climatique pour les ressortissants menacés par les cataclysmes
En 1973, le roman d'anticipation « La submersion du Japon » fait rapidement sensation. L'auteur Komatsu Sakyô y dépeint un Japon sombrant devant les catastrophes naturelles. Des tractations secrètes se nouent avec d'autres pays, notamment l'Australie, pour sauver les habitants. Traduit en plusieurs langues, ²¹»å²¹±è³Ùé en séries télé, en films, en séries d'animation et en mangas, le best-seller fait toujours autant parler. Les dernières adaptations se sont employées à gommer les allusions nationalistes pour mettre en avant la diversité et la nécessité d'une coopération entre les habitants et entre les États. Car la réalité semble rejoindre de plus en plus la fiction. Les cataclysmes frappant l'archipel forcent les autorités et la population à s'interroger. Si une expatriation climatique n'est pas à l'ordre du jour, d'aucuns se demandent comment protéger le territoire des catastrophes naturelles. D'autres pays sont déjà à l'heure de l'expatriation climatique.
Migration climatique : une réalité aux Tuvalu
C'est très officiellement que les Tuvalu et l'Australie évoquent leur accord de migration climatique. Une première, déclare l'Australie. Le traité, entériné en mai 2024, permet aux ressortissants des Tuvalu d'obtenir un visa climatique. Le visa sera ouvert aux personnes en situation de handicap ou ayant des problèmes de santé ; le gouvernement australien reconnaît que ces populations sont souvent exclues des programmes de visa. En revanche, les personnes ayant la citoyenneté néo-zélandaise ne peuvent participer au programme, qui vise en priorité les ressortissants n'ayant aucune solution de repli. L'archipel est l'un des plus menacés par le dérèglement climatique. Selon la NASA, une majeure partie de ses infrastructures pourraient être sous les eaux dès 2050.
Quotas et aides à la relocalisation
Selon les règles du traité, 280 visas seront accordés chaque année. Un chiffre bien en deçà du nombre de postulants : environ 8750 Tuvaluans (sur 11 000 habitants) ont participé au tirage au sort lancé le 18 juillet. C'est 80 % de la population qui souhaitent obtenir le visa, moins par désir de quitter précipitamment leur archipel que par volonté d'assurer sa sécurité. Le visa leur offrira la liberté de circuler entre l'Australie et les Tuvalu. Ils pourront travailler et étudier en Australie. Une sélection aléatoire est en cours depuis le 25 juillet. Mais le ministère de l'Intérieur australien le reconnaît : il n'y aura pas de place pour tout le monde. Le ministère garantit également que les Tuvalu bénéficieront d'aides pour s'adapter aux aléas climatiques. Le traité maintient également leur statut d'État indépendant. La question reste néanmoins ouverte quant à l'exercice de cette indépendance sur le long terme.
Migrants climatiques : que proposent les autres États ?
Verra-t-on d'autres programmes d'immigration climatique ? Aujourd'hui encore, la question intéresse bien plus les citoyens des régions insulaires du Pacifique que les autres : 90 % d'entre eux sont préoccupés par la question climatique, contre moins de 50 % des Américains. L'Australie veut faire de son exemple un modèle. Menacés par la montée des eaux, les Maldives, les îles Marshall et les Kiribati souhaitent bénéficier d'un programme similaire. Pour l'instant, les Maldives construisent des îles artificielles, comme Hulhumalé, située deux mètres au-dessus des eaux. Selon les experts, cette solution reste néanmoins précaire.
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Les ɳٲ¹³Ù²õ-±«²Ô¾±²õ ont signé plusieurs accords de libre association avec des pays menacés de submersion : les ÃŽles Marshall, les Palaos et la Micronésie. Selon ces accords, les ressortissants de ces États peuvent vivre et travailler librement aux ɳٲ¹³Ù²õ-±«²Ô¾±²õ. Mais ils n'ont qu'un accès limité aux prestations sociales. Autre problème : le scepticisme de l'actuel président américain face à l'urgence climatique. En mars 2025, le président des Palaos Surangel Whipps Jr interpelle Donald Trump et dénonce le manque d'engagement des ɳٲ¹³Ù²õ-±«²Ô¾±²õ.
Argentine et Inde
En 2023, l'Argentine a lancé un visa humanitaire. Il cible les ressortissants d'Amérique latine contraints de quitter leur domicile à cause d'une catastrophe climatique. En Inde, le visa climatique australien donne des idées. Certaines voies au gouvernement suggèrent que la création d'un visa climatique indien serait une manière efficace d'améliorer l'image du pays sur la scène internationale. De plus, le programme pourrait aussi permettre de recruter des talents étrangers.
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En 2017, l'État lance son programme pour accueillir les migrants climatiques du Pacifique. Mais le programme est rejeté par les populations concernées, qui fustigent la politique néo-zélandaise. Ils pressent l'État de développer ses mesures en matière de décarbonation, pour mieux lutter contre la pollution.
Ouganda et pays partenaires
Le continent africain est directement menacé par le dérèglement climatique. Le réchauffement climatique et les inondations forcent des millions d'habitants à quitter leur territoire. D'après le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), il faut compter 220 millions de déplacements internes, ces 10 dernières années. Pour répondre à l'urgence climatique, plusieurs États africains ont adopté la Déclaration ministérielle de Kampala (capitale de l'Ouganda) sur la migration, l'environnement et le changement climatique (signature en 2022). Elle fait suite à plusieurs conventions (1951, 1969, 2009...) visant à soutenir les populations déplacées tout en leur accordant une protection juridique. Reste néanmoins à faire appliquer ces traités par les États.
Vers l'instauration d'un passeport climatique ?
La Banque mondiale estime à 216 millions le nombre de migrants climatiques en 2050. Et si la solution était d'ouvrir les frontières ? En octobre 2023, le gouvernement allemand, alors dirigé par Scholz, envisage d'instaurer un passeport climatique et un visa climatique. L'idée n'est pas nouvelle. Déjà en 2018, des experts allemands plaidaient en faveur d'un passeport climatique réservé aux citoyens des territoires menacés de disparition.
Les catastrophes climatiques de ces dernières années relancent le débat, comme en France, toujours marquée par les conséquences du cyclone Chido. Un cyclone qui a frappé l'île de Mayotte, le 14 décembre 2024. Problème : la création d'un passeport climatique est loin de faire l'unanimité. L'urgence climatique entre en conflit direct avec les considérations politiques et le mouvement de fermeture des frontières, qui s'accélèrent. Les mouvements d'extrême droite s'opposent à la création d'un tel passeport, qui provoquerait un « appel d'air ». Les partisans du projet rappellent au contraire la responsabilité des États. Les « plus pollueurs » sont souvent les plus épargnés par les catastrophes naturelles. C'est l'avis de certaines voix aux Tuvalu, pour qui l'Australie serait impliquée dans la pollution des eaux.
Migrants climatiques : de nouveaux réfugiés ?
Faut-il parler de « réfugiés climatiques » ? Non, martèle l'Australie. L'État tient à ce qu'on ne confonde pas son visa climatique avec le statut de réfugié. Il rappelle que le statut de réfugié n'est accordé qu'aux personnes persécutées dans leur pays ; leur statut leur permet d'obtenir le droit d'asile dans un pays d'accueil. Les migrants climatiques ne subissent aucune persécution. Mais le terme « réfugié climatique » a déjà été adopté sur la scène internationale pour évoquer la situation de personnes contraintes de quitter leur pays à cause du dérèglement politique. Cette expression n'a cependant aucune valeur juridique. C'est justement ce qui fait débat.
Faudrait-il créer un statut juridique pour les migrants climatiques ?
Non, pour les opposants, qui rappellent que les déplacements de ressortissants se font généralement à l'intérieur du pays. Le droit international ne reconnaît pas non plus les « réfugiés climatiques ». L'expression serait un abus de langage. Mais d'autres évoquent le cas des Tuvalu, loin d'être une exception. La création d'un statut juridique garantirait la préservation d'une identité, d'une culture, d'une histoire.
C'est l'un des débats soulevés dans Japan Sinks : people of hope, l'une des dernières adaptations télévisées du roman de Komatsu Sakyô, diffusée fin 2021. Pour préserver la culture et le lien social entre les populations déplacées, les politiques se tournent vers le numérique. La fiction va-t-elle devenir réalité aux Tuvalu ? En 2023, l'État imaginait « se transposer » dans le métavers, afin de préserver sa culture. Une stratégie qui a ses forces, mais aussi ses limites (pollution numérique). Difficile de parvenir à une solution totalement verte. Les États sont néanmoins conscients que la migration climatique risque de devenir l'enjeu de ces prochaines années.
Sources :